dimanche 26 septembre 2010

Affaire Woerth-Bettencourt-Sarkozy, ou comment on malmène la liberté d’informer


Lundi 13 septembre, nouvelle déflagration dans l’affaire Woerth-Bettencourt-Sarkozy[1]. Le journal Le Monde annonce en Une qu’il va déposer une plainte contre X pour violation du secret des sources.
On y apprend que les services de contre-espionnage (DCRI) ont été mis à contribution, le 18 juillet, pour identifier un informateur du Monde. Grâce à lui, le journal avait publié les auditions de Patrick de Maistre, le gestionnaire désormais célèbre de la fortune Bettencourt. Le journal nous apprend par ailleurs que le contre-espionnage français est remonté jusqu’à un certain David Sénat, magistrat collaborateur d’Alliot-Marie, grâce au listing de ses appels téléphoniques dans lequel apparaissait Gérard Davet, journaliste au quotidien du soir.
Si les affaires d’Etat ne sont pas l’apanage de la droite (on se rappellera, entre autres scandales, celle des écoutes téléphoniques sous Mitterrand), cette affaire signale la fébrilité du pouvoir dans un moment de crise politique et économique. Depuis que le site internet Mediapart a mis en évidence la collusion directe entre Bettencourt et celui qui était il y a peu trésorier de l’UMP, à savoir Eric Woerth, les attaques n’ont pas cessé de la part de la majorité présidentielle contre tout journaliste affichant quelque velléité d’indépendance. La violence de ces invectives a été à la mesure de l’intensité des liens noués entre le pouvoir d’Etat, le grand capital et les médias dominants.
Ainsi Xavier Bertrand, secrétaire général de l’UMP, avait pu parler cet été de « méthodes fascistes » pour évoquer les techniques d’investigation de Mediapart. De même Christian Estrosi, ministre de l’Industrie et des délocalisations heureuses, avait dénoncé un « site qui rappelle une certaine presse des années 30 ». Nadine Morano, poétesse du Prince et secrétaire d’Etat à la Solidarité et à la Famille, avait découvert dans ce travail journalistique l’effet d’ « une espèce de collusion médiatico-politico-trotskiste qui essaie de jeter l'honneur d'Eric Woerth ». Pourtant, si collusion il y a, c’est bien entre l’actuel président et ses proches amis que sont Bolloré, Lagardère, Bouygues ou Dassault, par ailleurs grands propriétaires de médias.
Le pouvoir n’est donc pas au mieux depuis l’éclatement de cette affaire et, même si le patron de la DCRI le conteste, il y a tout lieu de penser que c’est Sarkozy lui-même qui a demandé au contre-espionnage d’enquêter sur Le Monde. Si personne ne confirme l’implication d’un membre du cabinet d’Alliot-Marie dans cette affaire, la mutation à Cayenne de David Sénat n’est-elle pas un aveu implicite de son rôle dans l’affaire Woerth ? Outre les dissensions au sein de la bourgeoisie, cette affaire révèle le périmètre très restreint dans lequel la classe dominante tient la liberté de la presse.
En régime capitaliste, cette liberté s’arrête là où commencent les intérêts des puissants. Ainsi se ramène-t-elle le plus souvent à vanter les mérites des gouvernants, à organiser de fumeux « débats » où se répondent des interlocuteurs à peu près d’accord sur tout ou à noyer les enjeux dans l’insignifiance du divertissement généralisé et de faits divers faisant diversion. Et pour peu qu’un journaliste fasse son travail d’enquête, cette affaire donne à voir le traitement que lui réserve le pouvoir d’Etat : surveillance et diffamation.
Julien SERGERE et Léo CARVALHO



[1] Depuis qu’est connue la contribution illégale apportée par L. Bettencourt au financement de la campagne présidentielle de Sarkozy, il n’est plus possible de parler simplement de « l’affaire Woerth ».

mardi 6 juillet 2010

Guillon, Porte... Reprise en main de Radio France

Le licenciement de Stéphane Guillon et de Didier Porte est l’aboutissement d’une normalisation de la radio, entamée il y a déjà plusieurs mois.

Le 23 juin, le site Internet lemonde.fr sort un scoop : Stéphane Guillon va être viré de France Inter. Le site reproduit une partie d’une interview de Jean-Luc Hees, patron de Radio France, qui doit paraître le lendemain dans la version papier. Si les médias s’emparent de cette affaire et si le licenciement de Guillon fait aujourd’hui réagir médias et partis politiques, la reprise en main idéologique de France Inter a commencé depuis bien longtemps.

En mai 2009, le conseil des ministres nomme Jean-Luc Hees à la tête de Radio France et dans la foulée, Philippe Val quitte le trop étroit Charlie Hebdo pour prendre la tête de France Inter. À l’époque1, nous dénoncions la mainmise de Nicolas Sarkozy sur ces nominations. Les syndicats s’inquiétaient de la refonte des grilles de la rentrée 2009, mais la légitimité du duo n’était pas assez forte pour tout chambouler rapidement. Ils ont donc attendu quelques mois avant de prendre des décisions qui façonnent une nouvelle radio d’État au service de l’idéologie ultra-libérale.

Les premiers émois ont lieu en avril 2010 lorsqu’on apprend que Rue des entrepreneurs, émission produite par Didier Adès et Dominique Dambert, est supprimée le 1er mai, après 28 ans d’antenne. Si le ton de l’émission n’était pas anticapitaliste, son traitement des sujets et ses invités variés permettaient de mieux saisir la réalité du capitalisme contemporain, sans pour autant le contester. Mais Val et Hees s’attaquent aussi à deux symboles de France Inter en supprimant de la grille de rentrée 2010 Et pourtant elle tourne et Esprit Critique, qui participaient à donner à France Inter son ton de gauche. Dans Et pourtant elle tourne, de grands reportages traitaient des désastres du capitalisme mondial et Esprit critique était une émission culturelle et artistique pointue. Mais si les syndicats et auditeurs se mobilisent fortement (Facebook, pétitions, manifs) contre leur suppression, c’est le licenciement de Guillon qui montre au plus grand nombre la reprise en main de la station.

Mise au pas 

Ce n’est donc que le 23 juin que Jean-Luc Hees nous apprend le licenciement de Stéphane Guillon. Dans des termes très violents, il s’attaque à l’humoriste de 7h55 : « Je ne peux accepter que l’on me crache dessus en direct. L’humour ne doit pas être confisqué par de petits tyrans […] une grande misère intellectuelle dont je ne m’accommode pas. » Le patron de Radio France ne pouvait plus supporter qu’un de « ses » humoristes s’attaque aux hommes politiques invités de la matinale de France Inter. On se souvient des réactions outrées de Dominique Strauss-Kahn ou Éric Besson devant l’impertinence de Guillon et on peut penser qu’ils ne sont pas les seuls à s’être plaints de leur traitement. Guillon était devenu un obstacle à la normalisation de la station quoi que l’on pense de son humour et de sa politisation.

Le même jour, Didier Porte annonce dans sa chronique du Fou du Roi avoir reçu une lettre de licenciement de Phillipe Val : il n’animera plus de chronique dans l’émission de Stéphane Bern. Là, Radio France s’attaque clairement à un humoriste engagé, Didier Porte se déclarant marxiste. Que lui vaut cette lettre de licenciement ? Un sketch dans lequel il fait dire à Dominique de Villepin : « J’encule Sarkozy ». On rappellera, non sans ironie, qu’à l’époque où Philippe Val était encore un chanteur libertaire en compagnie de Patrick Font, il vendait un disque intitulé Ça va chier (1987) dont la pochette était illustrée par un dessin de Cabu où Val et Font sodomisaient Philippe Léotard, alors ministre de la Culture.

Mais Val et Hees ne pourraient pas mettre aux ordres une radio publique sans le soutien actif de salariés de la station. Ainsi, Nicolas Demorand, Bernard Guetta et Thomas Legrand – tous trois salariés de Radio France – avaient attaqué Didier Porte dans le Grand Journal de Canal+ du 3 juin 2010. Nicolas Demorand, collègue de Didier Porte déclarait : « Quand on voit un usage de cette nature de la liberté, là on n’est pas dans la caricature, c’est pas drôle, c’est juste vulgaire, quoi ». Thomas Legrand, autre collègue de Didier Porte : « Tout est apparu comme une provocation jusqu’au-boutiste […] c’est l’ensemble de la matinale qui est mis à mal. On ne peut pas arriver au milieu d’une tranche d’infos, déverser ça et repartir ». Enfin, Bernard Guetta, l’atlantiste et le oui-ouiste de France Culture : « Moi j’étais dans ma bagnole, arrivant à Inter, pendant cette chronique de Porte, et franchement, j’ai failli rentrer dans un autobus. Je trouvais ça simplement inconcevable. » Ces grands garants de la liberté d’expression, sur les caricatures de Mahomet notamment, se couchent dès qu’il s’agit de s’attaquer au pouvoir et au patronat.

La seule bonne nouvelle dans cette histoire ? Un appel à manifester devant la Maison de la Radio à Paris, le 1er juillet 2010 à 18 heures, pour une radio publique indépendante.

Julien Sergere

1. Tout est à nous ! du 2 juin 2009

jeudi 29 avril 2010

Imbroglio à France Télévisions : gros sous et pouvoir d’État


 
La décision du conseil d’administration de France Télévisions de suspendre la privatisation de sa régie publicitaire nous plonge au cœur des contradictions d’un secteur public soumis aux injonctions, de plus en plus directes, du pouvoir d’État.

Si l’on veut comprendre quelque chose à l’ « affaire » qui secoue France Télévisions depuis quelques semaines, il faut avoir en tête le contexte politique, celui d’une volonté présidentielle de renforcer son emprise sur France Télévisions, et plus largement sur l’ensemble de l’audiovisuel public. Ainsi Sarkozy avait-il fait passer, en mars 2009, une loi lui permettant de nommer directement les présidents de France Télévisions et de Radio France. Cette loi entérinait par ailleurs la suppression de la publicité, après 20h à partir du 1er janvier 2009 et totale fin 2011.

Contrairement à ce que prétendaient Sarkozy et son sbire Copé, cette mesure ne visait évidemment pas à soustraire France Télévisions aux contraintes du marché publicitaire et à améliorer ainsi la qualité de ses programmes. Il s’agissait à la fois d’un coup de pouce financier à TF1, la chaîne possédée par celui qu’il présente régulièrement comme son « meilleur ami » (Martin Bouygues), mais c’était peut-être surtout un moyen d’accroître la dépendance du secteur public à l’égard du pouvoir d’État. La suppression de la publicité, et la disparition des revenus qui lui sont liés, laissait en effet les chaînes publiques sans ressources propres.

La commission Copé, dont la fonction avait été de faire accepter cette suppression sans conditions, avait imaginé un financement de France Télévisions par une taxe sur les opérateurs de télécommunication. Mais la décision de la Commission européenne de retoquer cette taxe a rendu incertaine la fin de la publicité avant 20h et des voix se sont élevées, dont celle du ministre de la Culture, contestant la vente de la régie publicitaire à un opérateur privé, au prétexte que cela créerait un « problème déontologique ». Le repreneur prévu, le consortium Publicis-Lov Group dirigée par un certain S. Courbit, est en effet déjà engagé dans la production de programmes diffusés sur les chaînes du secteur public, ce qui créerait un conflit d’intérêt manifeste. On apprend par ailleurs qu’Alain Minc, qui aurait soufflé à l’oreille de Sarkozy l’idée de supprimer la publicité, détiendrait des parts dans la société de Courbit.

Cette histoire fonctionne comme un miroir des dissensions qui se font jour à droite. Copé, président du groupe UMP à l’Assemblée, s’est ainsi prononcé contre la suppression de la publicité avant 20h. Sans doute échaudé par la brutalité de décisions présidentielles qui tendent à le marginaliser, le très-chiraquien Patrick de Carolis s’est quant à lui lancé dans ce qui apparaît comme un « baroud d’honneur » contre la reprise de la régie publicitaire. Les syndicats s’en sont félicité, notamment par la voix du représentant CGT J.-F. Téaldi, se réjouissant de cette marque d’ « indépendance ». Au-delà, cette privatisation (pour l’instant contestée) illustre non seulement la volonté de l’exécutif de contrôler l’audiovisuel public mais, plus profondément, les relations incestueuses entre pouvoir d’État et pouvoir capitaliste.

Léo Carvalho

samedi 17 avril 2010

Mauvaise humeur anti-journalistes ou critique politique des médias ?


L’attitude récente de Jean-Luc Mélenchon à l’égard des journalistes nous donne l’occasion de revenir sur la (nécessaire) critique des médias.
Le président du Parti de gauche s’est récemment fait remarquer dans les médias par deux prises de position qu’il n’est pas inutile de rappeler et de lier l’une à l’autre. La première tient dans une défense d’Eric Zemmour, qui avait justifié les contrôles aux faciès en affirmant que « la plupart des trafiquants sont noirs ou arabes ». Mélenchon a déclaré : « Je connais Zemmour. Il ferait mieux de dire qu'il a dit une bêtise. Ce type n'est pas un raciste. C'est un brillant intellectuel, mais comme tous les intellectuels, il est têtu comme une mule ». Un « brillant intellectuel » Zemmour ? Sans juger de la qualité intellectuelle du polémiste (et de la fonction qu’il occupe dans le champ médiatique[1]), on doit rappeler que celui-ci est l’auteur d’un ouvrage ouvertement sexiste – intitulé Le premier sexe (sic) – dans lequel il en appelait à un retour à la division traditionnelle des rôles sexués et justifiait l’existence des discriminations de genre. Etait-ce nécessaire et urgent, pour le porte-parole d’une organisation de gauche, de venir à sa rescousse et de légitimer ainsi le discours d’un idéologue réactionnaire ayant toute latitude pour se défendre lui-même dans ses multiples interventions médiatiques (France 2, Le Figaro magazine, RTL, France O, La chaîne Histoire, etc.) ?
Le deuxième épisode l’a opposé à un étudiant en journalisme qui, lors de la campagne pour les élections régionales, l’interrogeait sur l’opportunité d’une « réouverture des maisons closes ». Refusant de répondre sur ce point au nom d’une juste critique de l’imposition par les médias de l’agenda politique, Mélenchon assénait : « Ça n’intéresse personne, sinon vous et votre sale corporation voyeuriste et vendeuse de papier. […] Avec moi vous parlez de choses sérieuses, vous parlez de politique et vos sujets de merde vous allez les faire avec des gens qui veulent répondre à la merde. C'est fini, tu fermes ta petite bouche, tu me parles de politique. Moi je te parle de médias et de ton métier pourri […] Je veux parler du titre du Parisien, petite cervelle, pas de la prostitution ! ». Le problème, c’est qu’en mêlant une critique pertinente et une haine – en partie mise en scène[2] – des journalistes, Mélenchon traîne la critique des médias dans la boue de l’anti-journalisme primaire et oublie que nombreux sont les journalistes à désespérer de la presse et de son inféodation aux pouvoirs économique et politique. Combien de journalistes, précarisés par des directions uniquement soucieuses d’audimat ou de chiffres de vente, sont en effet condamnés à reproduire sans cesse les mêmes sujets formatés ou à endosser les logiques faciles du « scoop » ?
Au-delà, il faudrait mettre au premier plan – comme il arrive à Mélenchon de le faire – la question des facteurs qui expliquent l’état déplorable de la presse, son pluralisme anémié et son indépendance factice : l’appropriation des médias par de grands groupes industriels et financiers, la soumission du secteur public au pouvoir d’Etat, la forte précarité dont les journalistes sont l’objet, l’urgence permanente dans laquelle ils travaillent, le pouvoir d’imposition des « éditocrates », la recherche par tous les moyens de la rentabilité immédiate, les conditions de formation des journalistes dans des écoles privées, etc. Les médias se satisfont d’ailleurs très bien d’une critique d’humeur, qu’ils ont beau jeu de ramener à un procédé de communication politique ou, pire, à un refus quelque peu totalitaire de la liberté d’information. Mais comment expliquer que tant de gens paraissent se satisfaire d’une telle critique et défendent une diatribe qui n’honore guère le président du PG ? Outre la défense du statu quo par les grands médias (qui s’acharnent bien entendu sur Mélenchon depuis quelques jours, généralement sans lui donner les moyens de se défendre[3]), c’est surtout qu’aucune organisation de gauche – et le NPA pas plus que les autres – n’a pris au sérieux et à bras le corps cette question en élaborant et en propageant une critique politique des médias. Celle-ci ne peut en effet se réduire, comme chez Bayrou lors de la campagne présidentielle de 2007, à une muleta que l’on agite pour conquérir une popularité à peu de frais.
Le champ médiatique constitue un obstacle spécifique pour toute politique d’émancipation en réservant la parole aux élites politiques et économiques, en invisibilisant les luttes sociales ou en les réduisant à quelques clichés[4], en proposant une lecture systématiquement compassionnelle des oppressions et en présentant comme utopique tout projet de transformation radicale de la société. A nous, y compris dans les grands médias, de populariser une critique et des propositions anticapitalistes dont pourraient s’emparer les mouvements sociaux – et les salariés du secteur ! – pour contester le pouvoir d’une minorité sur l’information et le débat public.

Léo Carvalho


[1] http://www.acrimed.org/article3340.html
[2] http://www.bakchich.info/Melenchon-pas-les-torchons-et-les,10406.html
[3] http://www.acrimed.org/article3342.html
[4] http://www.npa2009.org/content/m%C3%A9dias-et-guadeloupe-une-v%C3%A9rit%C3%A9-bien-ordonn%C3%A9e

mercredi 3 mars 2010

Un voile médiatique

Paru dans Tout est à nous, le 25 février 2010.

Rarement le NPA aura été au centre d’une tempête médiatique aussi puissante : tous les grands médias ou presque, trouvant là une question à leur mesure, se sont dressées contre ce prétendu outrage à la « République ».

Alors que les médias déversaient encore les images des décombres d’Haïti et s’indignaient de soi-disant « pillages » pour mieux légitimer l’intervention militaire « occidentale », c’est le 2 février que le « scoop » du Figaro sort. Ilhem Moussaïd, militante voilée, sera sur une liste du NPA pour les élections régionales. Dès lors, toute la presse s’empare de l’affaire.

Les « éditocrates » (1), ces journalistes de cour qui – de radios en télés et de tribunes en billets d’humeur – prêchent la bonne parole gouvernementale et patronale, sont les fers de lance de cet emballement médiatique. C’est Zemmour qui dégaine le premier sur RTL. Dans un édito sobrement intitulé « Besancenot connaît-il Lénine ? », il s’en prend à Olivier Besancenot qui a manifesté « au milieu d'une forêt de barbus et de voiles » lors du blocus de Gaza et qui « flirte avec Tariq Ramadan, avec les salafistes les plus rigistes (sic) ». Pour lui, le NPA ne tente rien moins que d’ « arracher [les jeunes de banlieue] à l'influence des barbus et en faire de la nouvelle chair à canon de la Révolution ». Puis c’est au tour de Thomas Legrand sur France Inter et de Bernard-Henry Lévy dans Le Point d’attiser, à grands coups d’amalgames haineux, cette frénésie islamophobe qui flatte le pouvoir en place. Sarkozy ne s’était-il pas lui-même indigné en 2007 du « trop grand nombre de musulmans présents en Europe » , sans que la presse s’en fasse l’écho (2) ?

Le 6 février, c’est au tour de Caroline Fourest – essayiste mettant les armes du féminisme au service d’une islamophobie galopante (3) – de signer un papier d’une grande violence dans Le Monde. Elle prétend ainsi voir une continuité directe entre cette « affaire » et la tolérance dont auraient fait preuve, en 1976, les « camarades gauchistes » devant un « viol commis par un ’’camarade’’ immigré ». On appréciera d’ailleurs l’esprit de pluralisme qui règne au Monde puisque, quelques jours plus tôt, c’était une autre (longue) tribune qui était publiée par Frédéric Bourgade. Proche du NPA, celui-ci prêtait à Ilhem Moussaïd des intentions « différencialistes » et craignait que « son anticapitalisme ne soit que le rejet d'une identité occidentale ». Si cette dernière tribune montre que le débat n'est pas tranché au sein du NPA, ce n'est que le 20 février, après les nombreux courriers de lecteurs reçus (4), que Le Monde publie enfin des points de vue contradictoires, dont certains de militants ou proches du NPA. Le débat est rééquilibré, mais 15 jours après le début de « l’affaire ».

Sans parler de Marianne, journal prompt à pointer les menaces qui feraient peser « l’islam » sur la « République » et la laïcité, L’Humanité n’est pas en reste. Oubliant sans doute que le PCF compte, à Echirolles, une conseillère municipale voilée, Mina Kaci dénonce ainsi le « paternalisme dans cette volonté de cantonner toutes [les femmes voilées] dans un rôle de soumission à Dieu » et pense que le NPA a trouvé ici « un moyen de capter l’attention ». Pour elle, « qu’importe l’instrumentalisation, pourvu que le NPA se replace sous les projecteurs de l’actualité ». Une fois n’est pas coutume, seul Libération a proposé à ses lecteurs un traitement de cette question à distance des raccourcis et des amalgames.

L’islamophobie, cette peur irrationnelle d’une religion qui vient justifier les traitements stigmatisants et discriminatoires dont sont victimes les musulmans (ou présumés tels) dans la société française, n’est donc pas seulement une construction politique mais aussi une production médiatique. Que des avis opposés à ceux du NPA – qui lui-même est divisé sur la question – s’expriment dans les médias, il n’y a là rien qui doive surprendre ou choquer ; mais que ces points de vue convergent vers un discours médiatique quasi-unifié, faisant écho à l’unité de la classe politique, voilà qui mérite d’être pris en considération.

Pour peu qu’on y prête attention et sans tomber dans une quelconque « théorie du complot », on doit ainsi voir dans cette (nouvelle) « affaire » du voile – et dans ce climat nauséabond d’unité nationale – non pas le signe d’une détestation générale du NPA, mais la preuve d’une contribution spécifique des grands médias à l’invention contemporaine d’un « péril musulman ».

Léo Carvalho et Julien Sergère


(1) M. Chollet, O. Cyran, S. Fontenelle & M. Reymond, Les éditocrates, La Découverte, 2009
(2) http://vivelefeu.20minutes-blogs.fr/archive/2007/11/15/trop-de-musulmans-dit-il.html
(3) Voir l’article publié dans Le monde par des universitaires en réaction à un ouvrage de C. Fourest : « Les lauriers de l’obscurantisme » : http://www.sectes-infos.net/laicite-30.htm
(4) Courrier de la médiatrice du Monde http://www.lemonde.fr/opinions/article/2010/02/19/voile-ou-foulard-par-veronique-maurus_1308488_3232.html

dimanche 31 janvier 2010

Les sondages d’opinion comme technique de domination politique


Devenus en quelques dizaines d’années un outil central dans l’arsenal du journalisme politique et du débat politicien, les sondages ne posent pas seulement des questions (techniques) de méthodologie mais doivent faire l’objet d’une critique politique.
Cette critique ne peut pas avoir pour seule cible les sommes astronomiques que l’Elysée (et les partis, y compris de gauche) consacrent chaque année à la commande de sondages. De même, il ne nous suffit pas d’affirmer notre (saine) indifférence aux sondages d’opinion ou d’invoquer leur faible capacité de prévision électorale. Faire la critique politique des sondages c’est mettre en évidence (et en cause) la fonction qu’ils remplissent dans le jeu politique et médiatique actuel.
En effet, les sondages ne sont pas seulement inutiles ou peu fiables. Ils constituent une véritable technique de domination politique, qui impose subrepticement une certaine définition de la politique en substituant l’instantanéité et l’apparente impartialité du chiffre au débat politique durant lequel se manifestent des clivages et se forgent les opinions. La politique n’est alors plus conçue comme travail militant visant à populariser et lutter pour un projet de société, mais comme la recherche de formules ou de slogans qui vont coller aux « attentes des Français » (telles qu’elles sont mesurées par les sondages). La soumission aux sondages d’opinion implique ce type d’opportunisme, et l’on a ainsi vu le PS dépenser en juillet 2009 pas moins de 100 000 euros pour s’offrir un grand sondage sur « les attentes des citoyens », présenté comme « une parfaite photographie de la société » et dans le but de « refonder le projet socialiste ».
Mais les sondages favorisent également une perception individualiste de la société, celle-ci étant réduite à l’ensemble des individus isolés qui la composent. Une telle conception fait abstraction de la situation concrète dans laquelle vivent ces individus puisqu’on les sépare ainsi de leur existence collective, c’est-à-dire des liens tissés quotidiennement – au travail, sur leur lieu d’habitation, dans leur famille – avec tous ceux qui partagent une même condition sociale. Or, la politique n’est réductible ni au scrutin à bulletin secret, ni encore moins aux réponses, formulées par téléphone, d’un millier d’individus atomisés à des questions préfabriquées.
Les sondages d’opinion produisent en outre des effets directs :
-          De justification, lorsqu’il s’agit d’entériner l’action du gouvernement. Pensons aux sondages demandant aux enquêtés s’ils sont pour la « modernisation » des services publics, la question imposant la réponse dans la mesure où personne n’est pour des services publics archaïques.
-          D’imposition, lorsqu’il importe de faire parler « les Français » de ce dont veulent parler les politiciens (identité nationale, burqa, dette publique, etc.), et donc de faire exister telle ou telle « opinion publique » sur tel ou tel « problème social ».
Enfin, les sondages d’opinion autorisent ceux qui s’en proclament les spécialistes à tenir un discours en surplomb – au nom de l’objectivité prétendue des sondages – sur les désirs de la population, les choix des organisations syndicales ou politiques, etc. Cette légitimité des sondeurs et commentateurs à parler « au nom de », légitimité dont personne n’est juge sinon les propriétaires des médias dominants, n’est que l’autre nom d’une dépossession politique. Ils permettent en effet à la classe dirigeante – via les grands médias dont l’indépendance, dans la société capitaliste, n’est qu’un mot d’esprit – de dicter en bonne partie l’ordre du jour politique. 

27 janvier 2010. 

mercredi 27 janvier 2010

Les médias sont à nous !


Les médias, une chose trop sérieuse pour être confiés aux capitalistes et à l’État 

Les médias constituent à la fois un secteur parmi d’autres de l’économie et un élément clé de la domination capitaliste. Possédés et gérés par de grands groupes industriels et financiers – Lagardère, Dassault, Bouygues, etc. – ou par l’État, ils constituent pour la classe dirigeante un moyen d’imposer les questions dont il importe de débattre à tel ou tel moment (identité nationale, insécurité, etc.), d’en occulter bien d’autres et de distribuer la parole à des « éditocrates » proches des pouvoirs en place (Attali, BHL, Adler, Val, etc.).

La classe capitaliste ne parvient pourtant qu’imparfaitement à faire passer sa propre conception du monde pour une vision universelle, du fait de mobilisations qui parviennent parfois à s’inviter dans le débat médiatique, de la ténacité critique de certains journaux ou journalistes (Denis Robert ou d’autres), mais aussi de la nécessité de maintenir l’illusion du pluralisme à travers l’apparition dans les médias – marginale il est vrai – de mouvements ou d’individus contestant l’ordre établi.

Le NPA non seulement combat la réduction de l’information à une marchandise mais, plus précisément, lutte pour que le contrôle de la presse ne soit plus une prérogative des capitalistes et du gouvernement. Pour cela, il faut abolir la propriété privée des moyens d’information et instaurer – dans le secteur des médias comme dans l’ensemble du secteur public – un pouvoir des travailleurs et des usagers, seul moyen de créer les conditions d’un véritable pluralisme et d’une indépendance réelle de la presse à l’égard de tous les pouvoirs.


La politique de Sarkozy : médias aux ordres, concentration de la presse 

Le contrôle des moyens d’information est à ce point crucial pour la reproduction de la domination capitaliste que Sarkozy, en commis fidèle du grand patronat, a fait des médias l’un de ses principaux objets de « réforme ».

L’action du gouvernement s’est d’abord traduite dans des mesures visant à assurer un contrôle plus strict sur la direction des médias « publics ». Depuis la loi promulguée en mars 2009, c’est ainsi au président de la République qu’il revient de nommer directement le président de Radio France, de France-Télévision et de l’Audiovisuel Extérieur de la France.

La deuxième dimension de cette politique consiste, comme l’ont montré les « États généraux de la presse écrite » (dominés par les patrons de presse), à satisfaire les intérêts des grands groupes de presse en proposant d’assouplir les règles en matière de concentration de la presse et en favorisant ainsi l’avènement de grands groupes multimédias.

Le gouvernement actuel s’applique chaque jour, en restreignant l’indépendance des rédactions des médias nationalisés, à nous rappeler que secteur public ne veut pas dire service public, et qu’il est urgent non seulement de contester la propriété privée des médias mais d’imposer un contrôle des travailleurs et des usagers sur le secteur public d’information.



Mobilisation contre les licenciements et lutte contre la précarité doivent aller de pair 

L’année 2009 se termine sur un très mauvais bilan pour l’emploi dans la presse écrite, l’audiovisuel, les agences, la distribution, etc. Comme dans les autres secteurs de l’économie, les grands groupes propriétaires de médias et l’État ont restructuré à tour de bras, au prétexte de la crise.

La « réforme » de France-Télévision se traduira par des centaines de suppressions d’emplois ; les salariés de RFI sont toujours en lutte contre le dépeçage imposé par le ministère des Affaires étrangères ; dans les grands groupes de la presse magazine (Emap, Prisma, Lagardère Active-Hachette Filipacchi), les patrons ont ouvert des « guichets départs », mis en place des plans de licenciements rampants qui se traduisent par le non-renouvellement des contrats de dizaines de salariés en CDD ou la diminution du volume des piges des journalistes les plus précaires, tout en externalisant une partie des activités.

La presse quotidienne nationale (dernier en date, le Parisien) ne fait pas mieux, de même que la presse régionale qui restructure, licencie et abuse des contrats atypiques, tels ceux des correspondants locaux de presse qui n’ont même pas droit au statut de salariés. Endémique, la précarité joue pleinement son rôle d’amortisseur selon les vœux des patrons de presse : éviter des plans de licenciements trop voyants, augmenter la productivité des journalistes, employés, ouvriers et techniciens qui doivent compenser le départ des précaires (ceux-ci assurent de 30% à 80% du travail selon les formes de presse).

Ces derniers mois, la riposte contre les licenciements n’a pas été à la hauteur et l’intégration des précaires se fait attendre. Malgré quelques mouvements, à Hachette par exemple, ou récemment à l’AFP, les intégrations se font au compte-gouttes. Unifier et remobiliser tout le salariat des médias contre les licenciements et contre la précarité est l’une des tâches urgentes de l’heure.




Pour un service public de l’Internet, sous le contrôle des salariés du secteur et des usagers 

Un service public garantissant un usage démocratique du réseau Internet doit donner à chacun les moyens de se connecter et ne pas laisser le marché structurer l’offre de contenus, en particulier dans le domaine de l’information.

Une particularité de l’Internet, le faible coût de publication, a en effet favorisé l’escamotage du débat en semblant faire de la toile un pur espace de liberté et de gratuité. Chacun peut ainsi construire sa page personnelle et les groupes associatifs ou militants ont la possibilité (formelle) d’accéder à la visibilité sur Internet. Mais derrière cette illusion de gratuité et de pluralisme se dissimulent les conditions économiques nécessaires pour publier un média sur Internet susceptible d’atteindre un public large.

Pour mettre en ligne un site attractif et riche en contenus, il faut en effet un système de publication et des outils performants, mais surtout des professionnels qui ont les moyens d’enquêter, de rédiger, de filmer, de monter les images, de faire la maintenance de l’ensemble, etc. Or, étant seuls à disposer de ces moyens, les groupes capitalistes s’approprient la formidable liberté que pourrait représenter Internet. Bien sûr, la dynamique des logiciels libres ouvre une véritable opportunité de progrès en dehors du secteur marchand et toutes ces expériences doivent être encouragées. Mais cela ne saurait suffire pour faire d’Internet un véritable média démocratique.

Seul un service public de l’Internet pourrait par exemple mettre des outils de publication à la disposition des associations, des partis politiques, mais aussi de travailleurs en lutte ou de populations n’ayant jamais accès à la parole publique. Un tel service public permettrait par ailleurs de financer, selon des logiques échappant aux impératifs de rentabilité à court-terme, la production/diffusion de contenus culturels sous forme multimédia.


Loi Hadopi et droits d’auteur 

La loi Hadopi 2 est censée lutter officiellement contre le piratage d’une part, et préserver les intérêts des auteurs d’autre part : elle échoue deux fois.

Juridiquement, elle remet en question plusieurs notions fondamentales comme la possibilité d’un procès équitable, la présomption d’innocence ou encore la jouissance d’un droit fondamental reconnu par l’Union Européenne.

Techniquement, elle est inefficace car l’adresse IP sur laquelle elle repose n’est pas fiable ; il est par exemple possible d’usurper celle d’un réseau Wifi mal sécurisé.

Démocratiquement, elle est dangereuse car elle instaure un système de flicage national de l’Internet ; une surveillance de toutes les communications électroniques (dont les messageries personnelles !) a même été envisagée avant d’être abandonnée devant le tollé général.

Concernant les droits d’auteurs, elle ne permet pas une redistribution plus équitable des richesses, qui reste majoritairement aux mains de l’industrie du divertissement ; pire, au travers d'un amendement, les journalistes qui étaient jusqu’à présent rémunérés à chaque publication sur tout nouveau support pourront dorénavant voir leur travail utilisé à l’envi pour une seule et unique rémunération.

La loi Hadopi 2 ? Elle protège les intérêts des capitalistes, pas ceux des artistes… Le NPA, outre la suppression pure et simple de cette loi, défend l’idée d’une taxation des grands groupes multimédias de manière à financer autrement une culture non-soumise à la logique des profits.


Le CSA ou la voix de son maître

Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) est, depuis 1989, l’organisme public chargé de contrôler les activités liées à l’audiovisuel (y compris les contenus). Ayant le statut d’ « autorité indépendante », cette instance est présentée comme la garante du « pluralisme » et de la « démocratie audiovisuelle » en France. Cette démocratie audiovisuelle n’est pourtant que le faux-nez de la domination de la bourgeoisie sur les médias privés et du gouvernement sur les médias « publics ».

Les membres sont nommés, pour une durée de 6 ans, par les Présidents de la République, du Sénat et de l’Assemblée Nationale. Il va sans dire que les derniers nommés sont tous des proches du pouvoir sarkozyste, que ce soit Christine Kelly (un moment pressentie au gouvernement) ou Françoise Laborde, l’ancienne présentatrice du JT de France 2 qui, dans son dernier livre, écrivait notamment que les cheminots « défendent leurs avantages » et « n’ont jamais (…) stoppé (…) les trains de la mort qui emmenaient juifs et résistants vers les camps d’extermination ». Le président du CSA n’est autre que Michel Boyon, ancien des cabinets Léotard et Raffarin.

L’attribution de fréquences reflète également cette mainmise des grands groupes privés sur l’audiovisuel. Lors du passage à la TNT en 2005, des télés associatives comme Zaléa TV ont proposé des dossiers pour acquérir les nouveaux canaux nationaux, mais ce sont les groupes AB et Lagardère qui, en toute « indépendance » du CSA bien entendu, ont emporté le morceau. On voit ainsi ce que vaut le « pluralisme » que cette instance est censée assurer et ce qu’il advient de la « démocratie audiovisuelle » sous contrôle capitaliste.

Le NPA demande le démantèlement du CSA et propose qu’un nouvel organe, sous contrôle des travailleurs des médias et des usagers, soit créé pour réguler l’audiovisuel en France et assurer un véritable pluralisme.

Janvier 2010