mercredi 3 mars 2010

Un voile médiatique

Paru dans Tout est à nous, le 25 février 2010.

Rarement le NPA aura été au centre d’une tempête médiatique aussi puissante : tous les grands médias ou presque, trouvant là une question à leur mesure, se sont dressées contre ce prétendu outrage à la « République ».

Alors que les médias déversaient encore les images des décombres d’Haïti et s’indignaient de soi-disant « pillages » pour mieux légitimer l’intervention militaire « occidentale », c’est le 2 février que le « scoop » du Figaro sort. Ilhem Moussaïd, militante voilée, sera sur une liste du NPA pour les élections régionales. Dès lors, toute la presse s’empare de l’affaire.

Les « éditocrates » (1), ces journalistes de cour qui – de radios en télés et de tribunes en billets d’humeur – prêchent la bonne parole gouvernementale et patronale, sont les fers de lance de cet emballement médiatique. C’est Zemmour qui dégaine le premier sur RTL. Dans un édito sobrement intitulé « Besancenot connaît-il Lénine ? », il s’en prend à Olivier Besancenot qui a manifesté « au milieu d'une forêt de barbus et de voiles » lors du blocus de Gaza et qui « flirte avec Tariq Ramadan, avec les salafistes les plus rigistes (sic) ». Pour lui, le NPA ne tente rien moins que d’ « arracher [les jeunes de banlieue] à l'influence des barbus et en faire de la nouvelle chair à canon de la Révolution ». Puis c’est au tour de Thomas Legrand sur France Inter et de Bernard-Henry Lévy dans Le Point d’attiser, à grands coups d’amalgames haineux, cette frénésie islamophobe qui flatte le pouvoir en place. Sarkozy ne s’était-il pas lui-même indigné en 2007 du « trop grand nombre de musulmans présents en Europe » , sans que la presse s’en fasse l’écho (2) ?

Le 6 février, c’est au tour de Caroline Fourest – essayiste mettant les armes du féminisme au service d’une islamophobie galopante (3) – de signer un papier d’une grande violence dans Le Monde. Elle prétend ainsi voir une continuité directe entre cette « affaire » et la tolérance dont auraient fait preuve, en 1976, les « camarades gauchistes » devant un « viol commis par un ’’camarade’’ immigré ». On appréciera d’ailleurs l’esprit de pluralisme qui règne au Monde puisque, quelques jours plus tôt, c’était une autre (longue) tribune qui était publiée par Frédéric Bourgade. Proche du NPA, celui-ci prêtait à Ilhem Moussaïd des intentions « différencialistes » et craignait que « son anticapitalisme ne soit que le rejet d'une identité occidentale ». Si cette dernière tribune montre que le débat n'est pas tranché au sein du NPA, ce n'est que le 20 février, après les nombreux courriers de lecteurs reçus (4), que Le Monde publie enfin des points de vue contradictoires, dont certains de militants ou proches du NPA. Le débat est rééquilibré, mais 15 jours après le début de « l’affaire ».

Sans parler de Marianne, journal prompt à pointer les menaces qui feraient peser « l’islam » sur la « République » et la laïcité, L’Humanité n’est pas en reste. Oubliant sans doute que le PCF compte, à Echirolles, une conseillère municipale voilée, Mina Kaci dénonce ainsi le « paternalisme dans cette volonté de cantonner toutes [les femmes voilées] dans un rôle de soumission à Dieu » et pense que le NPA a trouvé ici « un moyen de capter l’attention ». Pour elle, « qu’importe l’instrumentalisation, pourvu que le NPA se replace sous les projecteurs de l’actualité ». Une fois n’est pas coutume, seul Libération a proposé à ses lecteurs un traitement de cette question à distance des raccourcis et des amalgames.

L’islamophobie, cette peur irrationnelle d’une religion qui vient justifier les traitements stigmatisants et discriminatoires dont sont victimes les musulmans (ou présumés tels) dans la société française, n’est donc pas seulement une construction politique mais aussi une production médiatique. Que des avis opposés à ceux du NPA – qui lui-même est divisé sur la question – s’expriment dans les médias, il n’y a là rien qui doive surprendre ou choquer ; mais que ces points de vue convergent vers un discours médiatique quasi-unifié, faisant écho à l’unité de la classe politique, voilà qui mérite d’être pris en considération.

Pour peu qu’on y prête attention et sans tomber dans une quelconque « théorie du complot », on doit ainsi voir dans cette (nouvelle) « affaire » du voile – et dans ce climat nauséabond d’unité nationale – non pas le signe d’une détestation générale du NPA, mais la preuve d’une contribution spécifique des grands médias à l’invention contemporaine d’un « péril musulman ».

Léo Carvalho et Julien Sergère


(1) M. Chollet, O. Cyran, S. Fontenelle & M. Reymond, Les éditocrates, La Découverte, 2009
(2) http://vivelefeu.20minutes-blogs.fr/archive/2007/11/15/trop-de-musulmans-dit-il.html
(3) Voir l’article publié dans Le monde par des universitaires en réaction à un ouvrage de C. Fourest : « Les lauriers de l’obscurantisme » : http://www.sectes-infos.net/laicite-30.htm
(4) Courrier de la médiatrice du Monde http://www.lemonde.fr/opinions/article/2010/02/19/voile-ou-foulard-par-veronique-maurus_1308488_3232.html