dimanche 26 septembre 2010

Affaire Woerth-Bettencourt-Sarkozy, ou comment on malmène la liberté d’informer


Lundi 13 septembre, nouvelle déflagration dans l’affaire Woerth-Bettencourt-Sarkozy[1]. Le journal Le Monde annonce en Une qu’il va déposer une plainte contre X pour violation du secret des sources.
On y apprend que les services de contre-espionnage (DCRI) ont été mis à contribution, le 18 juillet, pour identifier un informateur du Monde. Grâce à lui, le journal avait publié les auditions de Patrick de Maistre, le gestionnaire désormais célèbre de la fortune Bettencourt. Le journal nous apprend par ailleurs que le contre-espionnage français est remonté jusqu’à un certain David Sénat, magistrat collaborateur d’Alliot-Marie, grâce au listing de ses appels téléphoniques dans lequel apparaissait Gérard Davet, journaliste au quotidien du soir.
Si les affaires d’Etat ne sont pas l’apanage de la droite (on se rappellera, entre autres scandales, celle des écoutes téléphoniques sous Mitterrand), cette affaire signale la fébrilité du pouvoir dans un moment de crise politique et économique. Depuis que le site internet Mediapart a mis en évidence la collusion directe entre Bettencourt et celui qui était il y a peu trésorier de l’UMP, à savoir Eric Woerth, les attaques n’ont pas cessé de la part de la majorité présidentielle contre tout journaliste affichant quelque velléité d’indépendance. La violence de ces invectives a été à la mesure de l’intensité des liens noués entre le pouvoir d’Etat, le grand capital et les médias dominants.
Ainsi Xavier Bertrand, secrétaire général de l’UMP, avait pu parler cet été de « méthodes fascistes » pour évoquer les techniques d’investigation de Mediapart. De même Christian Estrosi, ministre de l’Industrie et des délocalisations heureuses, avait dénoncé un « site qui rappelle une certaine presse des années 30 ». Nadine Morano, poétesse du Prince et secrétaire d’Etat à la Solidarité et à la Famille, avait découvert dans ce travail journalistique l’effet d’ « une espèce de collusion médiatico-politico-trotskiste qui essaie de jeter l'honneur d'Eric Woerth ». Pourtant, si collusion il y a, c’est bien entre l’actuel président et ses proches amis que sont Bolloré, Lagardère, Bouygues ou Dassault, par ailleurs grands propriétaires de médias.
Le pouvoir n’est donc pas au mieux depuis l’éclatement de cette affaire et, même si le patron de la DCRI le conteste, il y a tout lieu de penser que c’est Sarkozy lui-même qui a demandé au contre-espionnage d’enquêter sur Le Monde. Si personne ne confirme l’implication d’un membre du cabinet d’Alliot-Marie dans cette affaire, la mutation à Cayenne de David Sénat n’est-elle pas un aveu implicite de son rôle dans l’affaire Woerth ? Outre les dissensions au sein de la bourgeoisie, cette affaire révèle le périmètre très restreint dans lequel la classe dominante tient la liberté de la presse.
En régime capitaliste, cette liberté s’arrête là où commencent les intérêts des puissants. Ainsi se ramène-t-elle le plus souvent à vanter les mérites des gouvernants, à organiser de fumeux « débats » où se répondent des interlocuteurs à peu près d’accord sur tout ou à noyer les enjeux dans l’insignifiance du divertissement généralisé et de faits divers faisant diversion. Et pour peu qu’un journaliste fasse son travail d’enquête, cette affaire donne à voir le traitement que lui réserve le pouvoir d’Etat : surveillance et diffamation.
Julien SERGERE et Léo CARVALHO



[1] Depuis qu’est connue la contribution illégale apportée par L. Bettencourt au financement de la campagne présidentielle de Sarkozy, il n’est plus possible de parler simplement de « l’affaire Woerth ».